La polymorphie de ce sujet m’a amené à le hiérarchiser autour de six questions.

1. L’état de l’art de l’Intelligence Artificielle et de la robotique suffit-il pour mesurer le bouleversement social et économique qui se prépare ?

2. Notre histoire technologique permet-elle d’anticiper la nature des changements qu’engendrera l’IA et la robotique dans notre vie professionnelle ?

3. Avons-nous suffisamment de recul pour accepter de partager notre pouvoir avec une super intelligence, et comment cette situation modifiera-t-elle nos relations professionnelles ?

4. Demain, l’IA sera-t-elle une malédiction ou une bénédiction pour les marchés du travail et de l’emploi ?

5. L’intelligence collective est-elle une solution pour développer et garder la maîtrise de ces nouvelles sciences technologiques ?

6. Notre système éducatif est-il adapté face aux changements que risque d’engendrer l’IA ?

Ce que j’observe depuis plus de vingt ans en tant que consultant en stratégie digitale et en management, c’est que le déploiement d’une même solution informatique aboutit à des taux de réussite différents selon les entreprises. Comment expliquer cette différence ? Une des réponses est que les dirigeants qui abordent le projet sous l’angle purement technique, sans tenir compte des salariés, échouent la plupart du temps. Car la performance attendue n’est pas au rendez-vous, cela pouvant s’expliquer par les freins aux changements occasionnés par cette posture managériale. Au contraire, ceux qui impliquent d’emblée l’ensemble des équipes dans leurs projets, obtiennent des résultats très positifs.

Le fil conducteur de mon ouvrage ”Intelligence Artificielle : ce qui va changer dans nos vies professionnelles” : Comment aborder la question de l’IA dans le monde professionnel et par rebond, existe-t-il des expériences similaires pour nous servir de guides.

J’ai créé avec mes collègues Delphine Kieffer (Aubance) et Sophie Perrin (Acti Web mobile) un blog : « Intelligence Artificielle : ce qui va changer… ». L’objectif de cette plateforme web est d’échanger sur la thématique avec mes lecteurs.

Il est urgent de faire bouger les lignes, que ce soit sur la formation et l’informatisation de nos entreprises ainsi que sur l’éducation scolaire en général. La gestion de nos données est devenue une orientation stratégique pour certains. Cette collecte d’informations peut sembler anodine et pourtant aujourd’hui cette information se transforme en matière première, primordiale pour le bon fonctionnement de notre économie, d’où de nouvelles réglementations comme le RGPD pour réguler et gérer les données personnelles.

Si L’IA se développe si rapidement, c’est qu’elle a bénéficié d’un puissant effet boule de neige : L’explosion de la production de data dans le monde. La capture de données est devenue un enjeu géopolitique – les leaders dans ce domaine sont les USA et la Chine – alors ne devons-nous pas changer notre façon de consommer cette nouvelle matière première ? Les leaders dans ce domaine sont des marchands d’attention, ils attirent notre « attention », en nous offrant des informations, des services et des divertissements gratuits. Mais en captant notre intérêt, ils accumulent sur nous d’énormes quantités de données, qu’ils revendent à prix d’or. Nous ne sommes pas seulement leurs clients, nous sommes aussi leurs produits, voire leurs cobayes…

Comment peut-on collaborer avec des entreprises qui sont des machines à broyer des humains ?

Nous le savons, ces entreprises marginalisent les individus au profit d’une automatisation à outrance, sans partage ni concertation, ou les salariés deviennent en quelque sorte les parias de l’entreprise ! Elles seront confrontées un jour ou l’autre à des problèmes de ressources humaines graves, par exemple la nouvelle génération d’actifs : leur priorité professionnelle n’est pas d’évoluer au sein d’une entreprise, mais bel et bien de rester compétitif et attractif pour les recruteurs. Épineux problème pour des sociétés désireuses d’acquérir de nouveaux talents et surtout de les fidéliser à leurs postes, sans avoir une vraie politique RH. Ne serait-il pas possible d’inverser cette tendance et de faire de cette révolution technologique un outil qui permettrait d’augmenter nos capacités cognitives, et d’améliorer le quotidien de chacun ?

Le problème, c’est qu’avec le développement de l’Intelligence Artificielle, nos sociétés risquent d’amplifier cette éviction humaine ! Et celle-ci ne se résume pas à une perte d’emplois. Elle risque d’amplifier des dangers plus sournois, tels que la prolétarisation des professions intellectuelles et la baisse des revenus des classes moyennes, et de freiner encore plus la répartition sociale des richesses. Une entreprise qui privilégie une course irrationnelle au profit, risque de créer une fracture entre ses acteurs humains (les salariés) et l’IA. Dans une démarche éthique, l’humain n’est ni remplacé, ni subordonné à l’IA, il doit être au contraire « épaulé par l’IA » pour augmenter ses performances.

Ce que j’observe au travers de mes différents entretiens et missions de conseils auprès de dirigeants d’entreprises, c’est qu’un projet d’intelligence artificielle repose sur des problématiques managériales autant que sur des problématiques techniques, même si les deux approches répondent à des logiques parfois diamétralement opposées. Un projet d’Intelligence Artificielle n’est pas un long fleuve tranquille, de nombreux écueils sont à éviter. Dans les prochaines années, l’IA va profondément métamorphoser les entreprises, elle viendra en appui et sera un acteur à part entière. Cet acteur, on devra l’éduquer, le former à notre métier et aux procédures pour qu’il s’adapte à notre savoir-faire. Mais cette formation ne doit-elle pas être la plus proche possible des valeurs de l’entreprise et de la vision du chef d’entreprise ? Il s’agit pour ces entrepreneurs de trouver des terrains d’entente, et d’avoir au préalable travaillé sur leur vision d’entreprise et leurs stratégies.

Intelligence artificielle : ce qui va changer ? C’est une question complexe qui soulève d’autres interrogations. Est-elle réservée à une élite technologique ? Les machines vont-elles remplacer les hommes ? Les machines sont-elles meilleures que les hommes ? Pour n’en citer que quelques-unes…

D’autres questions sont liées à l’éducation scolaire de nos enfants. Le constat aujourd’hui  est que notre système éducatif risque d’avoir du mal à rattraper son retard face à cette transformation numérique. Avons-nous une vraie stratégie numérique dans ce domaine, sachant que les dernières découvertes cognitives prouvent que les premières années de notre éducation sont les plus importantes. En effet, c’est à l’âge de l’école primaire que nos algorithmes d’apprentissage sont les plus performants ! Et pourtant la dotation de matériels informatiques reste marginale dans ces classes, alors qu’elle serait très utile pour dispenser un enseignement plus adapté à notre époque et à ces dernières découvertes.

L’Intelligence Artificielle va transformer peu à peu tous les métiers. L’innovation technologique portée par elle constitue le haut de l’iceberg, tandis que le bas de l’iceberg peut être comparé aux changements majeurs de nos sociétés et de nos métiers. À l’heure actuelle, il est difficile de tout comprendre et de tout appréhender de ses techniques et de ses domaines d’application, tellement ses imbrications sont multiples et variées.

Certains la considèrent comme la solution à tous nos problèmes, d’autres comme la pire des inventions. Nous projetons sur elle beaucoup de fantasmes, ce qui rend difficile une réflexion lucide.

La perte de nos emplois est le sujet qui suscite le plus de craintes, mais force est de constater que l’impact de l’IA reste incertain ! À travers mon livre, j’ai retracé la genèse de son histoire afin d’explorer ses finalités. Elle représente dès maintenant un réel enjeu politique, économique, philosophique et scientifique. Il est temps de la considérer avec objectivité. Mais sommes-nous assez sages et éclairés pour comprendre les menaces et les opportunités qu’elle représente ?

Didier Aït